L’inconnue du portrait

Roman lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « jury » Shadow-Cabinet Inter). Ce roman vient de recevoir le Le Prix du roman Marie Claire 2024 et avait déjà été récompensé fin mars par le Prix des Romancières 2024.

Présentation de l’Editeur (Calmann Levy)

«  La toile vibrait de beauté. Elle en avait le souffle coupé et se noyait dans l’œil bleu ciel piqueté de vert. Est-ce qu’elle était réellement le sosie de cette inconnue ?  »
 
Peint à Vienne en 1910, le tableau de Gustav Klimt Portrait d’une dame est acheté par un collectionneur anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019 dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie.
Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait.
 
Des rues de Vienne en 1900 au Texas des années 1980, du Manhattan de la Grande Dépression à l’Italie contemporaine, Camille de Peretti imagine la destinée de cette jeune femme, ainsi que celles de ses descendants. Une fresque magistrale où se mêlent secrets de familles, succès éclatants, amours contrariées, disparitions et drames retentissants.

L’idée de départ (un peu comme pour « La jeune fille à la perle » de Tracey Chevalier – ou « Moi, Mona Lisa » de Jeanne Kalogridis ou encore « La dormeuse de Naples » (Ingres – Adrien Goetz) donne envie – et on ne peut que tirer son chapeau face à l’imagination débordante et indéniable de Camille de Peretti.

Toutefois, au fil des pages, ce roman ne se déroule, à mon regret, non pas autour de Klimt et son travail mais se focalise sur la femme portraitée à Vienne, son fils Isidore parti aux USA devenu richissime et sa « descendance » pour ensuite devenir une saga familiale avec des allers-retours dans le temps (1910, 1917/18, 1927- 1929, 1969, 2019) et une multitude de coïncidences et hasards égrenés par la plume légère de Camille de Peretti.

J’ai souvent pensé à des auteurs tel que Donna Tart et/ou Joël Dicker et la littérature « populaire » à l’américaine qu’ils pratiquent, et qui n’est pas vraiment mon rayon.

Portrait d’une dame Gustave Klimt (1916/1917) Musée d’Art moderne Ricci Oddi de Plaisance – une étudiante en art a démontré dans les années 90 – rayons x à l’appui – que le portrait de gauche a été peinte sur celui de droite. Camille de Peretti choisit une des hypothèses de cette modification….

Dans une écriture somme toute assez classique, Camille de Peretti saisit l’occasion pour parler de la mainmise des riches sur leurs « bonniches », de la crise de l’année 1929 (le vendredi noir du 24.10.1929) et ses conséquences (il y a toujours qqn qui profite du krach des autres), de l’amour d’un orphelin à priori pauvre pour une jeune fille de la Haute, d’un 1er profilage génétique afin de prouver une paternité, l’ascension sociale d’une jeune femme (Pearl), la visite de quelques musées New Yorkais. On aura même un cours de technique boursière….

Crowd of people gather outside the New York Stock Exchange following the collapse of the financial markets on October 24, 1929. File Photo by Library of Congress/UPI

Contrairement à vagabondageautourdesoi [« Si vous aimez l’art ou les sagas, ne passez pas à côté !« ] je n’ai donc pas été captivé (mais c’est vrai, je ne lis pas souvent des sagas).

Par ailleurs, les critiques sur Babelio (4,4/5) illustrent bien que je suis loin du mainstream positif autour de ce livre, je dois être un peu bouché sur les bords ou davantage être attiré par des romans plus fouillés stylistiquement ou qui me touchent émotionnellement. Là, ça sentais trop le fabriqué pour moi, mais, j’avoue, avec du talent, on ne voit pas du tout les « coutures » (j’ai cherché pendant un petit moment et en vain des informations sur le groupe Chloros, « en 2022 le troisième plus grand groupe de produits cosmétique et d’hygiène au monde« . Elle m’a bien eu cette chère Camille !!)

Je suis donc admiratif devant la profusion d’idées de Camille de Peretti. Elle offre au lecteur qui a envie de s’évader pleins de fils narratifs imbriqués « génétiquement » autour du tableau. Elle a, cela se sent aussi, bien compulsé une grande documentation.

Cependant, à mon goût, elle n’a pas réussi à rendre vraiment vivants et crédibles les personnages qui restent (encore une fois pour moi) des stéréotypes.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 commentaires

La foudre

Lecture dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « Shadow Cabinet Inter »)

Présentation (résumé) de l’Editeur (P.O.L.)

La Foudre est un roman de la passion amoureuse et de la sidération. C’est aussi un roman qui s’inscrit dans la tradition du nature writing américain. John, le narrateur, une trentaine d’années, est berger dans le Haut-Jura. Chaque année, il passe cinq mois dans un chalet d’alpage pour garder un troupeau de brebis. Il arpente les forêts de hêtres et d’épicéas de la vallée, croise toutes sortes d’animaux sauvages : renards, chamois, lynx.

John découvre dans le journal un fait-divers impliquant un certain Alexandre Perrin, accusé de meurtre. Alexandre, son ami de lycée, devenu vétérinaire, écologiste et militant de la cause animale, a tué un de ses voisins, un jeune chasseur de vingt ans. Une bagarre qui a mal tourné. Alexandre a été arrêté et placé en détention provisoire. John, troublé, va quitter son refuge et tenter d’en savoir plus. Il prend contact avec Nadia, la femme d’Alexandre, avec qui il était également au lycée. Il se retrouve alors entraîné dans une histoire passionnelle inattendue qui va bouleverser sa vie.

Alexandre est en prison et attend son procès. Son crime pousse John à revisiter ses années de jeunesse. Ils sont heureux avec Héloïse sa compagne, avec qui John projetait de s’installer à la Réunion. Pourtant, le meurtre commis par son ami et sa complicité naissante avec Nadia vont l’entraîner là où il n’imaginait pas aller. Nadia réveille chez lui quelque chose qui semblait enfoui, elle ravive son désir. Il a l’impression d’une renaissance. Aussi, ses projets avec Héloïse lui apparaissent de plus en plus improbables. La culpabilité de son ami tourne pour lui à l’obsession, à mesure que son désir pour Nadia s’accroît. Il suit l’audience au tribunal de Lyon, quitte Héloïse et reste dans le Jura tout en vivant sa liaison amoureuse avec Nadia. Jusqu’au jour où Alexandre sort de prison et retrouve sa femme et ses enfants auxquels John s’est attaché. La situation devient critique et orageuse, tandis que Nadia semble s’éloigner de lui.

Beaucoup est dit dans ce résumé, mais pas la « manière de ».

Je n’avais pas envie de (re-)lire Pierric Bailly. Les précédents ouvrages lus (tous dans le cadre d’un Livre Inter (il y semble abonné) : « L’homme des bois » en 2017, « Les enfants des autres » en 2020, « Michael Jackson » (en 2011) ne m’avaient pas laissé de traces particulières.

Après une cinquantaine de pages sur la vie de Julien (John) en tant que berger dans le Jura (belles descriptions des paysages, mais loin de ce que j’appellerai « nature writing« ). Je n’arrêtais pas de me dire que je n’en avais rien à cirer de ce garçon/ cet homme. Mais d’un coup (de foudre ?), et je ne sais pas encore tout à fait pourquoi, j’ai ressenti un revirement intérieur ou une sorte d’attachement au(x) personnage(s) et au récit voyageant entre passé et présent et les divers hypothèses d’un avenir.

Copyright : Gilles Lansard

Est-ce uniquement le contact de Julien avec Nadia, la femme de son ancien ami de lycée, Alexandre (emprisonné), la description assez documentée et réaliste, genre « Anatomie d’une chute », du procès d’Alexandre (p. 206 – 282), les sentiments naissants de Julien pour Nadia, ses hésitations à changer de vie (rester ou aller à la Réunion avec Héloïse ?) Ou est-ce « uniquement » ce style d’écriture mélancolico-douce-amère qui passe, de plus, allégrement de la revisitation du passé et de l’influence d’Alexandre sur la vie de Julien [« l’influence de ce type sur ma vie est démente. » (p. 391)] et les fils qui relient la vie de Julien/John au passé, ce passé qui nous dessine et prédétermine souvent.

C’est ça la bascule de la quarantaine. La période de l’enfance et de l’adolescence qui s’amenuise. Non seulement on s’en éloigne, mais au regard de tout ce qu’on a vécu ensuite, l’enfance et l’adolescence paraissent de plus en plus concises. Ça reste des moments fondateurs mais des moments qui n’ont pas duré aussi longtemps qu’on le pensait.

J’ai finalement lu le livre quasiment d’une traite avec l’envie de connaître la suite, les choix de Julien.

Je baigne depuis quelques jours dans ce climat que je pourrais qualifier de nostalgique, non, ce n’est pas de la nostalgie, un climat entre tristesse et ennui, appelons ça un léger cafard, et c’est encore de sa faute à lui, j’en suis sûr. C’est lui qui m’a mis tout ça dans la tête, quand il a commencé à parler de nos adolescences et de nos enfances qui rapetissent à mesure qu’on avance dans la vie. D’un point de vue arithmétique, on ne peut pas lui donner tort. Mais bizarrement, en ce qui me concerne, j’aurais presque l’impression inverse, l’impression que plus je vieillis et plus mon enfance et mon adolescence accroissent leur territoire.

Et j’ai aimé certaines pensées – en écho à ce que je (me) dis parfois aussi.

Celui qui croit gérer ses émotions en vient le plus souvent à les nier. Les miennes, je les exprime.

Finalement un livre ou plutôt une histoire tissée de plusieurs fils, mais faite d’une somme de presque riens : la montagne, Lyon, la Suisse (une usine d’horlogerie), les moutons, la vie d’un berger, les chiens, les souvenirs d’adolescence et d’un grand-père étonnant, le coup de foudre, la perte d’amour….

Il n’y a à proprement parler pas d’évènements exceptionnels, juste les petits moments de la vie quoi, autour d’un homme qui flotte, qui se laisse – j’ose dire – « balader » (Julien fait du bien à Nadia, et elle en profite) dans cette belle région du Jura. Un Julien qui, comme dirait l’autre, « vit intensément, malgré les questionnements que ça lui pose, il écoute son cœur plus que son esprit... »

C’est vrai, les personnages du roman – les Julien/John, Nadia, Héloïse et les autres – nous deviennent familiers et réapparaissent même encore parfois, dans un moment de flottement, une fois le livre rangé dans la bibliothèque, ou mis en voyage chez un(e) autre « Shadow Cabinetiste« .

Malgré nos trois années communes au lycée, Nadia ne me voit pas comme une figure du passé mais comme celui qui l’aide à s’en extraire. Le passé est incarné par Alexandre. Moi, je représente l’avenir.
Je ne sais pas si elle me préfère à lui, si elle préfère ma personnalité à la sienne, mon corps au sien, mais je suis sûr d’une chose, c’est qu’elle préfère la vie qu’elle mène avec moi.
Je sens que je lui fais du bien. Elle me dit qu’elle est heureuse quand on est tous les deux, et qu’elle est amoureuse. De là à dire que lorsqu’elle est avec moi, elle est uniquement avec moi, c’est évidemment un peu simpliste. C’est impossible. Mais elle ne me considère ni de près ni de loin comme un duplicata, un pastiche, une contrefaçon ou une caricature d’Alexandre. J’ai l’air au contraire de l’en détourner, de l’en distraire.
Pourtant, il est toujours là.

istock

Dernières phrases :

J’attends un signe. J’attends la lumière au bout du tunnel, et je crois l’apercevoir, un flash, mais elle ne tient pas. Lueur d’espoir, et tout redevient noir. Ça cogne de plus en plus fort. J’attends un coup de fil. Depuis plus de sept ans j’attends que Nadia m’appelle. Je commence à en avoir marre. Je commence à avoir froid. Nouveau flash, je me lève.
J’attends la foudre.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 4 commentaires

L’enfant dans le taxi

Roman lu dans le cadre du Livre Inter 2024 (et de notre « Shadow Cabinet 2024 »)

Je n’avais encore jamais lu un livre de Sylvain Prudhomme – et je dois dire que je l’avais à maintes reprises dans la main, et le titre ne me disait rien. Là j’étais obligé de le lire – une belle surprise émotionnelle. Un roman de (fin d’) amour et d’une quête.

C’est à l’occasion de l’enterrement de son grand-père, Malusci, que le narrateur-écrivain (Simon – Sylvain P révèle-t-il un pan de son histoire familiale ?) apprend par la bouche de son oncle Franz que Malusci avait un enfant M. en Allemagne (près du Lac de Constance – Bodensee (Le lac-sol. Le lac-terre. Lac soubassement. Lac fond (p. 98) – remarque : très content par ailleurs que contrairement à d’autres (je nomme ici Calmann Levy/ Peretti) les Editions Minuit ont soigné l’exactitude de l’orthographe des qqs phrases et mots en allemand). Et parlant d’Allemagne, c’est là que débute, par une scène (imaginée par le narrateur, mais de toute beauté) le roman en 1946  (un Français – force d’occupation – et une allemande se joignent pour faire l’amour).

Après la révélation faite par son oncle Franz, Simon va commencer à enquêter plus ou moins activement pour en savoir plus sur cet enfant. Il va par ailleurs, dans ce cadre, essuyer les foudres de sa grand-mère et désormais veuve Imma qui lui interdit d’entrer en contact avec l’enfant illégitime. Secret de famille quand je te tiens…. Je peux la comprendre un peu cette Imma (elle a dû ravaler de ces couleuvres au cours de sa vie (heureuse, hem), en constatant que son mari continue – dans son dos – d’entretenir une relation épistolaire (seulement ?) avec la mère de son « bâtard », sans pouvoir en parler.

Se rajoute à la quête de notre narrateur qu’il est en train de se séparer de sa compagne (après 20 années de vie commune et de deux enfants). Séparation qui se fait avec beaucoup de respect et d’amitié (certainement un brin d’amour aussi, le désir semble encore intact – mais on ne sait pas exactement pourquoi ils se séparent…- juste que c’est devenu « impossible ») – Certains en rêveraient d’une séparation aussi douce.

Lac de Constance – Bodensee

Périodes de regrets et de mélancolie – des dernières fois/ des premières fois « sans » ajoutent des gouttes de Vermouth dans le verre de solitude. Dans ce contexte j’ai bien aimé l’épisode « italienne » avec une certaine Veronika.

Les 217 pages égrènent les diverses voies tortueuses d’une quête ou exhumation des origines, mêlées avec de beaux portraits de personnes d’un certain âge ou de leur environnement :

« Une table facile à nettoyer commode simple puisque c’était la recommandation suprême de la mère, il faut vous simplifier la vie mes enfants. Une table simple efficace pratique comme étaient simples efficaces pratiques les grands carreaux gris au sol, les plaques à induction sans aspérité et chaque objet choisi pour meubler cette maison elle-même dessinée de façon à ce que tut y soit simple efficace pratique…….. Je veux vivre dans le présent Simon tu comprends.  » (p. 87)

Des réflexions sur le couple et en fin de compte surtout, de manière sous-jacente, la fâcheuse manie de certaines familles de garder sous le tapis des « secrets » qui n’en sont pas pour d’autres mais qu’on préfère taire

Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de parler, jamais de se taire.

Jamais toutefois Simon se révolte (contre sa grand-mère p.ex.) lors de sa recherche d’une possibilité de faire entrer M., le bâtard, l’enfant illégitime, mais quand-même le « frère » « manquant » disparu dans l’oubli ou plutôt le déni.

Tout ça c’est dit avec une construction magnifiquement imbriquée :

Les scènes imaginée de la rencontre du Français avec l’allemande qui sera la mère du futur enfant bâtard, les entretiens avec ceux qui savaient (ou faisaient), la vie de Simon avec ces deux enfants (qu’il garde en alternance), les réflexions, les quelques (dernières) épisodes de la vie à 4 avec sa bientôt ex-compagne …. et tout cela dit/écrit dans une belle langue douce, délicate et mélancolique. (j’ai juste eu besoin d’une petite période d’accoutumance au style particulier de Sylvain P. (page 19 à 38)).

N’oublions pas non plus l’information glissé sur les pages 182 – 185 – et la litanie des personnes qui cherchaient père/mère/enfant qu’il y avait entre 15000 – 20000 enfants de mère allemande et de père soldat ou fonctionnaire des autorités d’occupation.

Chanson qu’écoute Simon écoute dix fois par jour depuis des semaines (p. 166) – Un amour qui s’en va (de nous)

J’espère que je n’ai pas trop dit. Je répète juste que j’étais (étonnamment) ému par certains passages et par le ton simple (et parfois proche d’un S. Tesson) les sujets traités du roman.

J’ai continué à suivre la direction Aubagne, me suis faufilé parmi la succession de ronds-points et de parkings constellées de voitures, de magasins en tôle et en plastique, de panneaux publicitaires, de bretelles d’entrée et de sortie vers des zones d’activités comme il en pullulait toujours dans le coin. J’ai pensé, comme souvent depuis des années, que ce ne serait pas une grande perte le jour où l’humanité s’autodétruirait enfin, délivrant l’univers de sa vulgarité. (p. 171)

Cette nuit-là nous nous sommes couchés l’un près de l’autre sous la tente, les enfants endormis déjà, leur respiration nettement audible, profonde, familière, d’une douceur…(…)… A. collé dans mon dos, son ventre contre moi. Nous sommes restés sans rien dire d’abord, serrés, proches. Puis A. a dit que c’était une belle soirée. Qu’elle espérait que nous nous aimerions toujours, quoi qu’il arrive. J’ai senti son bras que se soulevait pour m’envelopper, se poser sur moi, m’enlacer. J’ai pris sa main dans la mienne, l’ai caressée doucement, j’ai dit oui. Que c’était une belle soirée. Que moi aussi j’espérais que nous réussirions ça. …(p. 70 – 71)

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Ceux qui appartiennent au jour

Lecture dans le cadre du Prix du Livre Inter. Notre « Shadow Cabinet Inter » (qui existe depuis désormais une bonne douzaine d’années – depuis 2010 en fait) organise régulièrement des apéros ou rencontres pour échanger les livres (et des impressions sur les lectures afin d’aiguiser les argumentations pour le 2 juin.). Le livre ci-présent m’a été prêté par Nadine C. (merci !)

C’est le premier roman d’une franco-néerlandaise : Emma Doude van Troostwijk (E.D.v.T.), née en 1999.

Présentation de l’Editeur (Les Editions de minuit)

« Je voulais raconter ça, l’histoire d’une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d’un drame, avec le plus de lumière possible. »
E. D. v. T.

Le temps d’un séjour de quelques semaines dans sa maison d’enfance, la narratrice raconte ses retrouvailles avec sa famille, où, depuis trois générations, hommes et femmes ont choisi le métier de pasteur. Mais quand elle arrive, quelque chose de cet ordre ancien s’est profondément déréglé.

Petit livre (175 pages très aérées) dans lequel l’autrice décrit délicatement, parfois poétiquement un petit monde familiale « qui perd la mémoire » (père, mère, grands-parents – Opa et Oma – ainsi qu’un frère). C’est d’ailleurs avec un grand sourire que j’ai lu (p. 38) une référence au beau livre de Anne Pauly « Avant que j’oublie » (livre toujours ouvert depuis des semaines « à l’éternelle même page 10 » (Prix du Livre Inter en 2020), qui a traité – avec une veine un peu plus « comique » – les relations d’une fille avec son père décédé.

Le roman, en trois actes (ou grands chapitres I, II et III) montre déjà dans sa mise en forme – des petits paragraphes, parfois juste deux phrases – souvent bilingues, frç et néerlandais, sur une seule page – qu’il s’agit de « recoller des morceaux« , des bribes, instantanés de souvenirs comme une sorte de jeu de Memory (dont la famille joue – la métaphore est soutenue -, et que le grand-père/Opa n’arrive plus à faire). Donc nous aussi on « recolle » les images et remplissons les vides, le non-dit entre les lignes.

« Le français dit un pense-bête. le néerlandais dit un appui mémoire. Een geheugensteuntje. (p. 57) »

Laps

Le titre, Ceux qui appartiennent au jour, semble être une traduction (mot à mot) d’une expression néerlandaise qui veut dire : ils ne tiennent qu’à un fil. Tout est fragile mais le fil est très fort et tient grâce à un amour conjugal (et entre frère et sœur), avec comme nœud inextricable les mots de la bible.  

« Le Français dit qu’un ange passe. Le Néerlandais dit qu’un pasteur se promène. Er gaat een dominee vorbij. » (p. 162)

C’est que le grand-père (Opa) et le père ont passé le « virus » au fils pour exercer le ministère du culte. Seulement, le fils est pris à quelques jours de son ordination, de doutes sur sa croyance. Style sobre. Entrelardé de quelques mots en néerlandais dont le sens est soit traduit ou compréhensible à partir du contexte. Ce qui donne une certaine épaisseur multiculturelle – on ne sait pas pour quelle raison la famille a quitté les Pays-Bas pour vivre en France.

Pour avoir une idée de l’écriture voici un extrait un peu plus long :

Depuis quelques jours, Papa accroche des Post-it sur la surface carrelée au-dessus de la gazinière. Il y a un code couleur. Les Post-it verts pour les événements de la semaine à venir. Les jaune fluo pour ceux des semaines passées. Les orange pour ne pas oublier de dates importantes. Rendez-vous chez le médecin. Anniversaire de mariage. Ordination de Nicolaas. Des dizaines d’images du quotidien en noir et blanc, par souci d’économie d’encre, encerclent les annotations. Sur une photo, le petit déjeuner de dimanche dernier. Sur l’autre, Opa devant le temple, avec comme commentaire : il a quatre-vingt-onze ans dans cinq jours. Les Post-it roses c’est pour les blagues. Des mauvais jeux de mots avec des noms de famille. Rendez-vous à dix heures avec monsieur Couillon (au lieu de monsieur Coullon). Prendre ses anti-dépréciateurs. Ne pas oublier que les clés sont accrochées à l’entrée, à côté de ma tête. Le cerveau de mon père est affiché en patchwork sur le mur gras de la cuisine du Presbytère. (p. 91/92)

Un livre comme une « nature morte » vivante et empreinte de tendresse. L’autrice aurait dit comme elle le fait dans le roman plutôt « vie silencieuse » (le terme néerlandais « Stilleven » correspond à celui en allemand « Stillleben« ). Assez original mais qui ne m’a pas touché comme je l’aurais aimé.

Malgré le sujet un peu tristounet qu’elle arrive à rendre lumineusement optimiste. Ce que l’amour filiale peut faire. Avec ou sans bible.

ALEXANDRE HOLLAN, VIE SILENCIEUSE, 2020, COURTESY GALERIE LA FOREST DIVONNE PHOTO © ILLÈS SARKANTYU

« Il ne faudrait pas dire nature morte. Il faudrait dire vie silencieuse. Stilleven. »

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , | 3 commentaires

Une terre si froide – The cold cold ground

Dernier livre avant la lecture de tous des livres candidats au Prix du Livre Inter 2024 que je n’ai pas encore lu. (Livre eprunté à la bibliothèque de Montbonnot).

La pluie a viré au crachin, la nuit est calme, l’acoustique est si parfaite qu’on entend les tirs de balles en caoutchouc depuis le centre de Belfast.

Plongée dans le conflit irlandais en 1981.

Le gréviste de la faim Bobby Sands vient de mourir, Mme Thatcher est au gouvernement et catholiques et protestants (les IRA, UDA, RUC, M15, UFF, UVF, INLA se font la guerre). Dans cet enfer, le sergent Sean Duffy (flic catholique vivant dans un quartier de protestants) arrivé récemment, sera chargé d’une enquête autour de l’assassinat de deux homosexuels (est-ce la mort des deux est l’œuvre d’un serial-killer ?) – et s’intéressera à la mort d’une jeune femme (il ne croit pas au suicide de celle-ci).

J’ai un vague souvenir d’un des 1ers livres de McKinty « Retour de flammes » lu il y a longtemps avant mes débuts de bloggeur (mais dans lequel le personnage principal était plutôt du genre Jack Reacher). Sean Duffy (avec ce roman McKinty commence une trilogie autour de ce flic catho) est plus « éthique », a une connaissance encyclopédique de la musique (classique et pop), un humour noir qui fait plaisir – et est absolument hermétique aux règles fixées par son hiérarchie, obéissant, avec un peu de sang chaud sur les bords, surtout à ses intuitions. Classique : son penchant pour les boissons et le sexe (même si dans ce roman un certain baiser lui fera un choc).

AFP

Encore du grabuge à Belfast. Les fumigènes au nitrate de potassium traversent la nuit tombante. Un hélico Gazelle vole au ras de l’eau dans la baie. Des gamins passent devant le poste en s’échangeant les meilleures techniques pour balancer un cocktail Molotov par-dessus l’enceinte. Quel cauchemar, Seigneur. Une ville martyrisée par sa propre guerre éclair. Une ville qui empoisonne ses propres puits, sème du sel sur ses champs, creuse sa propre tombe.

Ce qui est fort, c’est ce mélange d’une description quasi-documentaire de la violence qui a régné en Irlande du Nord, mêlé à une once d’humour noir/de cynisme et une intrigue policière bien tortueuse à défaut d’être trépidante, ou 100 à l’heure? C’était déjà le cas dans « Retour de flammes », qui était cependant sans temps morts et davantage jonché de cadavres (en mode série B).

Constellé de formidables dialogues plus vrais que vrais genre Audiard (un grand merci à la traductrice Florence Vuarnesson) , et avec une « bande son » excellente.

– C’est bien étonnant que tu n’aies pas le mal de mer.
– Et pourquoi ?
– D’être parti à la pèche aux indices comme ça
.

https://adrianmckinty.blogspot.com/2014/07/duffys-carrickfergus-in-2014.html

Brusque coup de frein. Une grosse plaque métallique jaune a été posée sur un nid-de-poule en haut de Coronation road. N’importe où ailleurs, on passerait simplement dessus, mais, ici, des flics ont déjà sauté sur des bombes qui présentaient cet aspect. Un trou creusé dans la chaussée, rempli de C4 et de clous, recouvert d’une plaque pour faire comme si c’était l’oeuvre des ouvriers de la maréchaussée. La bombe se déclenche à distance. Ok, on est dans Coronation Road, rue protestante du lotissement protestant de Victoria, dans la ville protestante de Carrickfergus, il y a quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chances qu’il s’agisse vraiment de travaux provisoires de la voirie, mais quand même, je ne vais pas rouler dessus.
Marche arrière et je reprends vers le sud, toujours par Coronation Road.
Poule mouillée, peut-être, mais vivant.

Roman qu’on aime pour son ton, pour le rappel historique (on parle bien de Lady Diana entre autres), la description d’une guerre qu’on a un peu oublié ici, mais qui marque encore l’Irlande (et l’Europe), pour son personnage (cinématographique – un autre des romans de McKinty « The chain » – un pur thriller – est en production, par Edgar Wright).

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Ravel

J’ai vu récemment le film « Bolero » d’Anne Fontaine avec notamment dans le rôle de Maurice Ravel le crédible Raphaël Personnaz.

Marie-Anne (La bouche à l’oreille) m’a rappelé dans un commentaire sous mon avis, « Ravel » un roman (biographie romancée ?) de Jean Echenoz. J’avais donc envie de le lire (avec les images du film (encore) en tête). La lecture en devenait un régal.

Jean Echenoz retrace dans ce livre très bien documenté les 10 dernières années de la vie de Maurice Ravel – Il débute avec son départ pour un séjour de 3 mois aux Etats-Unis pour une tournée harassante (pour Maurice) et enthousiasmante pour les auditeurs américains qui lui font un triomphe.

C’est drôle comment j’avais, lors de lecture, toujours l’image de Raphaël Personnaz dans la tête, qui se superposait parfaitement sur le personnage décrit par Echenoz avec délicatesse et une précision méticuleuse (qui n’a d’égale que de la manière avec laquelle Maurice R. choisit chaque matin ses vêtements).

Je constate finalement que le film « Bolero » retrace bien les mêmes « dernières stations de vie » et illustre pas mal les scènes qu’Echenoz nous décrit. peut-être l’écriture rend mieux compte de l’extrême solitude (intérieure) de Ravel, les images du film saturent plus l’espace.

Plein de détails réjouissants jalonnent le livre – et sont aussi repris dans le film (mais de manière plus « académique »). Dans le film la création du « Bolero » se fait avec l’aide de sa femme de ménage. Echenoz présente cette création plus « simplement » avec une rasade d’ironie en plus.

« …Il est en retard sur son travail comme d’habitude et le téléphone vient de sonner, l’éditeur une fois de plus lui a rappelé des dates pour les répétitions de cette œuvre à venir, qu’il a annoncée mais dont on ne sait rien. Il sourit mais ça ne se voit pas. Bon, ils veulent qu’on répète, ils tiennent vraiment à ce qu’on répète, eh bien d’accord, on répétera. Ils en auront, de la répétition. …Voilà : il est en train de composer quelque chose qui relève du travail à la chaine. ….Chaîne et répétition, la composition (du Boléro) s’achève en octobre après un mois de travail seulement troublé par un splendide rhume cueilli, pendant une journée en Espagne, sous les cocotiers de Malaga. Il sait très bien ce qu’il a fait, il n’y a pas de forme à proprement parler, pas de développement ni de modulation, juste du rythme et de l’arrangement. Bref c’est une chose qui s’autodétruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l’arme est le seul élargissement du son. Phrase ressassée, chose sans espoir et dont on ne peut rien attendre, voilà au moins, dit-il, un morceau que les orchestres du dimanche n’auront pas le front d’inscrire à leur programme. (p. 77/78/79)

Une autre raison pour vous inciter à lire plutôt ce livre que d’aller voir le film : on est ému, bcp plus que dans le film, face au déclin de cet homme qui perd de plus en plus la mémoire et la faculté de bouger, et l’opération qu’il subit n’améliore pas les choses. A la fin, le style médico-lapidaire travaillé mais d’une précision d’horloger d’Echenoz vous prend à la gorge.

Publié dans Cinéma, Livres, Musique | Tagué , , , , , , , , , , , | 6 commentaires

Lancement du Prix du Livre Inter 2024

Et le nouveau marathon de lecture commence. Bien évidemment ma candidature n’a pas été acceptée mais je suis très, très content puisque une amie, Agathe V., membre de notre Shadow Cabinet du Prix du Livre Inter, crée par son mari, fera partie des 24 membres du jury. On aura donc une « taupe », et elle nous racontera Isabelle Huppert. Et surtout comment les débats au sein du jury se déroulent – par rapports aux nôtres. On est une douzaine de lecteurices – et on lit les dix livres.

Voici la liste des livres à lire jusqu’au 2 juin. Ce jour là nous allons voter autour d’un barre bêêê cul.

J’ai déjà lu 3 sur les dix.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 5 commentaires

« Le Firmament » – Treize femmes en colère

Pièce de théâtre écrit par l’autrice britannique Lucy Kirkwood (traduite par Louise Bartlett et mise en scène par Chloé Dabert, l’actuelle Directrice du Théâtre de Reims) – et distinguée par le Grand prix de Syndicat de la critique. Vu à la MC2 à Grenoble.

Nous sommes en Angleterre en 1759, mais certaines répliques et thématiques résonnent bien de chez nous au 21e siècle. Sally Poppy (21 ans) mariée va être accusée du meurtre de la fille (11 ans) de son employeur. Elle est rentrée après une longue absence (avec son amant) maculée de sang. La justice décide la pendaison, mais Sally dit qu’elle est enceinte, ce qui empêcherait selon la loi (si elle est vraiment enceinte) la pendaison et l’envoi en exil dans les colonies.

Comment prouver qu’elle est enceinte ? La justice des Hommes demande à 12 femmes d’en juger, puisque la grossesse est une affaire de femmes. Sera donc constituée une sorte de jury populaire (toutes les couches sociales confondues, toutes âges confondus aussi (de la femme qui a accouché des dizaines d’enfants à celle au ventre stérile – fermière, bourgeoise, muette, sage-femme – Bénédicte Cerutti, qu’on dirait une féministe d’aujourd’hui). Dehors la foule assoiffée de sang, on n’est pas loin des bûchers de sorcières)…..

Un « procès » au cours duquel, à travers des répliques souvent savoureuses (et humoristiques) le spectateur voit se dessiner une image multiple de la femme/ des femmes qui d’une certaine manière n’a pas changé en trois siècles et donc n’a rien perdu de son actualité ! Une multitude de sujets traités (pour deux amies : trop de sujets) : Sexualité, viol(ences), grossesse, « charge mentale » (tâches ménagères, travail dans les champs, ahh ces poireaux à arracher, les maris et employeurs entreprenants), etc….,

Scénographie d’une belle sobriété, les costumes (les robes des femmes) splendides (Marie la Rocca), les groupes d’ actrices – en accord avec les textes – soit en « foule » compact, soit éclaté, parfois en mode Vermeer (la fenêtre à gauche de la scène avec l’entré de la lumière oblique) …. c’est une approche bien visuelle (presque brechtienne parfois – avec, j’exagère un peu : de beaux « gros plans » et plans d’ensemble) soulignée par le recours à la vidéo (en début et après l’entracte – la pièce dure, l’entracte compris, 2h45 – la durée de « Dune » mais avec plus de profondeur que ce film).

Une pièce de théâtre (avec un tourbillon émotionnel vers la fin dans lequel le pouvoir de l’argent est le maître mot), mise intelligemment en scène polyphonique – ou chacune aura la possibilité d’ancrer sa personnalité – qui donne envie de retourner (de nouveau/ plus souvent) au théâtre.

Publié dans Théâtre | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

L’été indien

Présentation de l’Editeur (P.O.L.)

Éric Planchon naît dans un village de l’Hérault des années soixante-dix. Son père est un vigneron amoureux de ses ceps ; sa mère, déçue par son mariage, se réfugie dans une inquiétante passion amoureuse pour le présentateur du journal télévisé Jean-Pierre Pernaud, et un non moins inquiétant intérêt pour le tri sélectif des déchets. Élevé dans cette atmosphère électrique où il apprendra à cultiver des qualités diplomatiques, Éric rencontrera d’autres personnages hauts en couleur lors de son service militaire, de son premier travail dans un restaurant pour touristes, puis dans une compagnie d’assurances. Il subira Bousillot, un gradé hargneux, connaîtra l’étonnant « Termite de Dieu », l’aumônier du régiment devenu fou. Embauché comme saisonnier au Cerf Radieux, un restaurant du Cap d’Agde, il sera initié aux ficelles du métier par son patron, Bridet, ancien champion de lancer du poids, et, sans succès, à celles de la drague par Jérôme, le cuisinier. Sa première expérience amoureuse se nouera dans les locaux des Assurances de l’olivier avec une collègue, Sylvie, mais pâtira de leurs premières vacances dans les sentiers périlleux des Pyrénées. L’amour non exprimé qui le liait à ses parents lui apparaîtra alors dans des circonstances inattendues, à la fois graves et loufoques.

Quille militaire

Je n’ai pas oublié son roman loufoque, La Fonte des glaces (2017), lu à l’époque dans le cadre du Prix du Livre Inter. Roman dans lequel le héros prenait pour compagnon de sa fin de vie un manchot empereur empaillé et qui nous avait bien fait (sou-)rire. 

Dans ce nouveau roman (je n’avais pas accroché du tout à « L’arbre d’obéissance » (2019 et ai fait l’impasse sur les livres suivants), j’ai été surtout surpris par la manière de J. Baqué de jouer avec la langue et d’utiliser une large palette stylistique. L’évènement le plus anodin devient un terrain de jeu qui fait sourire la partie la plus sérieuse en nous. C’est souvent jouissif et donne envie de lire à voix haute pour bien déguster certaines trouvailles.

Eric et la gent féminine étaient tristement complémentaires, un peu comme un pare-brise et l’insecte qui s’y écrase. Jeune, il ne faisait pas très jeune; devenu adulte, il semblerait figé à un âge médian; vieil homme, protégé du grand âge par une matérialité défaillante, comme si le temps lui passait à travers sans s’y arrêter. (p. 60)

C’est un roman « d’apprentissage » – on suit le bébé qui sort du ventre de sa mère (« Eric Planchon s’exfiltra des tiédeurs amniotiques sous le regard éberlué de sa mère pourtant informée de son arrivée imminente » (1ere phrase) jusque à sa trentaine (environ).

Eric est le fils d’un couple dysfonctionnelle (« le couple tragique » comme disent les villageois) – on suit son adolescence: garçon qui a « intériorisé son devoir de neutralité » (dans les affrontements de ses parents) ce qui lui posera quelques problèmes quand il s’agit d’aborder les filles/femmes. « Adapté au conflit intrafamilial, à un territoire bien délimité, celui-ci devenait un boulet dans les opérations extérieures menées en des contrées peu connues. Autrement dit, Éric ratissa les estivantes et se prit râteau sur râteau ». La mère fan absolue, on dirait presque amante, du speaker (pendant 32 années !!) du 13h de TF1 Jean-Pierre Pernaut – elle se rêve « même » en femme du Président Pernaut, est également une amoureuse des containeurs poubelle pour le tri sélectif (faisant la « police » contre les gens qui ne font pas bien le tri.) Son mari travaille dans les vignes.

Eric on le suit à l’école, au foot, au job d’été, au service militaire et une fois entré dans une assurance comme (aide-) comptable. Un champs de possibles pour décrire avec tendresse et un certain mordant satirique matinée de critique sociale les années 70, sans oublier quelques saynètes absurdes (comme l’était déjà « La fonte des glaces ») non exemptes d’une certaine nostalgie pour la France des « sans dents ».

Sa description de la 1ere visite à l’ANPE est un petit bijou. Sa présentation de certaines personnages vaut également son pesant de plumes acérés.

« Le patron avait une patronne. Ancienne sauteuse de haies, Mme Bridet était le contraire d’une otarie. Elle semblait issue d’un bloc de poussière dégrossi à la va-vite, golem né du tripotage machinal d’une argile pigmentée par un sculpteur absorbé par quelque pensée autrement plus impérieuse que la réalisation de cette commande sans intérêt. Eléonore Bridet absorbait la lumière comme un trou noir; si elle avait eu un passé stellaire, il n’en restait qu’un effondrement massif….. » (p. 66)

La psychologie des foules a été fignolée, pas celle des files. Une foule fait peur, il y a des précédents. Sous la foule, les pavés. De bonasse elle peut, comme la Méditerranée, se retourner en un instant, devenir houleuse, tempétueuse, naufrageuse…(…)…Moins dangereuse, la file a été moins étudiée. Toutefois, la considérer comme une sous-espèce ou un début avorté de foule est une erreur. L’individu constitue la cellule de base de la foule comme celle de la file mais dans cette dernière il n’est pas le maillon transcendé d’un collectif, non, plutôt la goutte têtue d’une figue ou d’un nez. une file recèle le potentiel d’agressivité d’une foule en plus discursif, conditionné en portions individuelles, car personne ne veut perdre sa place, il y manque l’aération des grands emportements. » (p. 106)

Je pourrais en citer encore des paragraphes entières, on voit que Joël Baqué a fignolé son texte jusqu’à la plus petite virgule. On s’amuse bien, mais en fin de compte j’ai eu un sentiment qu’il y avait un trop plein d’idées, de trouvailles, de métaphores pour adhérer à 100% à ce texte de 156 pages (seulement).

Et, je viens de lire que J. Baqué est un autodidacte et a certainement mis pas mal de choses vécues personnellement. Donc je dis bravo, malgré mes « réserves » toutes relatives. Et le titre vient d’une chanson de Joe Dassin.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 commentaires

Hors saison

Nouveau coup de pouce pour mon soutien au cinéma français.

Stéphane Brizé m’est bien connu (Quelques heures de printemps, Un autre monde et bien d’autres, comme Je ne suis pas là pour être aimé…avec ses inoubliables Tango avec Anne Consigny ) – et j’apprécie sa délicatesse de la peinture d’âmes fragiles qui se questionnent. Je n’attendais rien de G. Canet, et voilou une belle gifle : il était parfait dans son rôle comme Alba Rohrbacher, la sœur de Alice Rohrbacher – drôle par ailleurs qu’elle se prénomme Alice dans ce film.

Un acteur dont les films ont eu pas mal de succès a voulu se mettre au théâtre et s’enfuit, prenant peur de l’échec éventuel, quelques semaines avant la première, laissant sur plan toute l’équipe (et son public – et la presse people aussi). Il va se ressourcer (seul) dans un centre de Thalasso près de Quiberon. On est hors saison. Il n’y a pas d’effervescence, la ville est « morte » avec ses volets fermés (la mer, le front de mer avec ses maisons aux fenêtres closes – c’est très photogénique).

Quiberon _ 9.2022

Il s’ennuie pas mal et bataille avec ses questionnements (ai-je bien fait de laisser tomber? ; lire des scénarios ineptes; faire des massages…..). Cette partie du film est assez maline – pleine d’ironie aussi. Émaillée de gags visuels (à la Tati). Par ailleurs, assez judicieux (à mon avis – elle accompagnent bien les images léchées) bcp de texte en voix off (coup de fil à sa femme – une Marie Drucker qu’on ne voit jamais, mais qui est redoutable dans ses « conseils » à son mari. Le message du metteur en scène lâché…). Vous allez rire, dans cette partie (peut-être une vingtaine de minutes) j’ai retrouvé la manière de regarder de Sorrentino (Stéphane Brizé a le même regard tendre et cruel sur les « curistes » que Sorrentino dans « Youth »).

Le ton du film change d’abord imperceptiblement ensuite plus franchement quand notre curiste rencontre une ancienne maitresse (c’était 15 ans auparavant – elle est désormais, comme lui, mariée – lui avec une star de la télé, elle avec un médecin (qui par ailleurs l’avait sauvé de la déprime après la rupture).

Tout d’un coup le film devient plus lumineux, centré sur le couple, la vie y entre (les petites choses de la vie), et c’est un plaisir pour les yeux de voir les tendres liens d’antan se resserrer tout en étant pleins d’amertume, de reproches et questionnements aussi.

Je vois sur « Allociné » que le rating est de 2,6 chez les spectateurs. Il y’en a qui disent « qu’il n’y a rien qui se passe dans ce film » (oh les aveugles ou malades des blockbusters !) – mais un autre écrit « que c’est un film pour des personnes « mures ». En tant que mure sentimental j’ai adoré le film (qqs petites longueurs lelouchiens à part) pour sa manière de marcher sur la crête d’un sentimentalisme sans tomber dans un marasme dégoulinant.

Toutefois, je pourrais comprendre que Libération réécrive pour ce film ce qu’il disait alors pour un autre film de S. Brizé : Le cinéaste a de toute façon tendance à confondre les accents de vérité et le folklore des bons sentiments. Chaque plan semble mitonné aux petits oignons du détail qui tue et nappés de silences qui en disent long.

Moi, j’ai marché à donf devant cette nouvelle histoire d’amour (im-)possible, accompagnée par les notes mélancoliques de Vincent Delerme qui vous enveloppent en douceur (ou hérissent ceux qui sont allergiques aux petites mélodies – les « scies » minimalistes – de lui).  

Pour avoir une idée de la voix fragile, proche du brisée, avec l’inimitable accent italien (de Alba R.) – et pour voir qqs images léchées et « convenues » pour exprimer les remous des personnages, encore un autre morceau (qu’on n’entend par ailleurs pas du tout dans le film, mais les images lelouchiennes y sont)

En somme : ce que je pensais être un film de retrouvailles d’anciens amants (nostalgie, interrogations nimbées de regrets p.ex.) est finalement beaucoup plus, comme le montrent les diverses rencontres (notamment avec un coach sportif – qui ne connait pas l’acteur connu, ce qui est d’une grande drôlerie – ou le mariage sur le tard d’une veuve étonnante avec une femme dans une Epahd). Le tout réhaussé par deux acteurs (Canet & Rohrbacher) d’une justesse, sans esbroufe, d’une sincérité qui prend aux tripes (au moins mon côté Madeleine).

J’espère que ce film sera boosté par le Printemps du Cinéma, même « s’il n’y a rien qui se passe« .

Publié dans Cinéma | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 10 commentaires